Rénovation énergétique en France : quelles sont les principales difficultés ?
L’analyse du marché par l’agence Passerelle, architecte d’intérieur et conseiller en rénovation énergétique
Parcours d’obstacles ?
Conjoncture immobilière en berne ?
Pourquoi ça n’avance pas encore à plein régime
En France, la rénovation énergétique est devenue un sujet de préoccupation central dans la rénovation des bâtiments depuis la Loi Climat et Résilience d’août 2021. Cette loi prévoit, entre autres, la fin de la location des passoires thermiques (logements avec un DPE “G” et “F”) à horizon 2025 et 2028.
Rappelons que cette loi découle de l’une des 146 propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat qui s’est tenue en 2020 (150 citoyens tirés au sort, 8 mois de travail). Cette loi s’inscrit aussi dans l’objectif 2021 de l’Union Européenne “Fit for 55” visant une baisse d’au moins 55 % des émissions des gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 par rapport à 1990.
Cette loi date d’il y a 3 ans déjà…
Depuis, un certain nombre de propriétaires, et notamment les bailleurs de “passoires thermiques”, ont amorcé les travaux nécessaires mais on est encore loin du phénomène de massification de la rénovation énergétique appelé de ses voeux par le Haut Conseil pour le Climat dans son dernier rapport. Pour quelles raisons ?
Voici les principaux obstacles observés à ce jour :
Rotation immobilière ralentie : Depuis les politiques monétaires de fin 2021 qui ont entraîné dans leur sillage la hausse des taux d’intérêts sur les emprunts immobiliers, le secteur immobilier tourne au ralenti : -23% de transactions immobilières en un an en France en 2023 d’après le syndicat FNAIM (Fédération Nationale de l’Immobilier). C’est d’autant moins d’opportunités de rénover les biens à l’occasion des changements de propriétaires.
Processus complexe : La rénovation du bâti ancien est un processus complexe et exigeant (et particulièrement lorsqu’il s’agit de copropriétés), nécessitant une planification minutieuse et une expertise approfondie. Des difficultés techniques lié à l’âge du bâti peuvent s’ajouter aux défis rencontrés. A date, de nombreux projets de travaux sont encore au stade de l’étude amont, voire simplement au stade de l’intention.
Investissements élevés : La remise aux normes de bâtiments anciens peut s'avérer coûteuse par rapport à la construction de logements neufs en raison de la nécessité, dans l’ancien, de réaliser des travaux “sur-mesure” afin de s’adapter aux contraintes du bâti existant, à son intégrité historique, etc. Pour autant, l’actuelle baisse des prix immobiliers compense souvent ces coûts élevés pour qui investit aujourd’hui dans des “passoires thermiques”. Par ailleurs, un arsenal d’aides nationales, territoriales, municipales, prêts à taux zéro, etc. a été développé pour aider les ménages et les copropriétés à se lancer.
Risque de perte de surface habitable : En cas d’isolation thermique par l’intérieur (ITI)), un logement peut perdre environ 8 à 12 cm d’épaisseur sur ses murs périphériques. Bien que la perte de surface habitable peut être compensée par une meilleure optimisation de l’espace et par la “valeur verte” générée par la bonne performance énergétique lors de la revente, la perte de surface est une réticence fréquente des propriétaires sur un marché encore largement tiré par l’indicateur des m² habitables en “loi Carrez”.
Instabilité des dispositifs d’aides à la rénovation : L’arsenal de mesures en faveur de la rénovation énergétique est encore en proie à de multiples évolutions (cf. les dernières évolutions de MaPrimeRénov pour 2024). Bien que l’objectif global de ces aides soit de pousser les acteurs vers des rénovations plus performantes (notamment via des rénovations globales), ces changements récurrents perturbent la bonne marche des acteurs du secteur ainsi que la lisibilité des mesures auprès du grand public.
Rareté des compétences : Pour atteindre les objectifs de réduction des “GES”, un nombre accru d’acteurs compétents est nécessaire (auditeurs, artisans, conseillers, etc.). Il faut du temps pour que le secteur s’organise, pour que les nouveaux acteurs se forment sur les nouveautés. A l’heure actuelle, les artisans certifiés “RGE” (Reconnus Garants de l’Environnement) sont encore trop peu nombreux. Tout comme les artisans maîtrisant les techniques anciennes, mobilisant des matériaux biosourcés et respectueux du bâti ancien qui sont encore trop rares. Cette situation complique la tâche pour les propriétaires qui souhaitent déjà se lancer.
Rareté des matériaux : Depuis la pandémie du Covid 19 et ses retards d’approvisionnement dès 2020, et depuis la guerre en Ukraine dès 2022 qui a induit la hausse des prix de l’énergie et la pénurie de certains matériaux (suite à l’interdiction du pétrole, de l’acier et du fer russes par exemple), le secteur du BTP voit ses délais et ses coûts augmenter. Face à cela, des démarches de réemploi de matériaux (surplus de chantier ou encore matériaux issus du bâti existant) et d’utilisation de matériaux historiquement écartés par les industriels (ex : le bois scolyté) se développent. La filière de matériaux biosourcés se structure également (ex: la France est le premier producteur européen de chanvre, utile à l’isolation thermique) mais la rareté est encore trop pesante pour le secteur.
Risque de délais dans les secteurs de préservation du patrimoine : Dans certains cas, la règlementation en matière de préservation du patrimoine (naturel ou bâti) peut s’ajouter, ralentir, voire limiter, les modifications du bâti ancien. En effet, dans les espaces protégés, les permis de démolir, de construire, d’aménager et les déclarations préalables de travaux sont visés par les ABF (Architectes des Bâtiments de France). Les délais sont alors souvent rallongés sur la phase amont du projet de rénovation. Toutefois, ces délais peuvent être mis à profit pour des demandes d’aides locales pour la valorisation du patrimoine dans certaines communes par exemple. Dans tous les cas, une réduction des délais d’obtention des autorisations permettrait d’alléger les coûts de rénovation (chaque mois de retard est potentiellement est un loyer de plus pour le ménage porteur d’un projet de rénovation).
En conclusion, les obstacles à la rénovation énergétiques sont à la fois conjoncturels et structurels. Une embellie au niveau des obstacles conjoncturels (taux d’intérêt, coûts de l’énergie, rareté des matériaux) est difficile à prévoir mais les analystes du marché immobilier espèrent une amélioration en 2025. Concernant les défis structurels du secteur, ils renvoient à la capacité du secteur à s’adapter et à s’organiser rapidement (recrutements, formations, stabilité des aides, simplification des démarches, etc.). La marche est bel et bien lancée mais doit encore se poursuivre pour faire sentir ses effets.
Ne perdez pas espoir : le secteur s’organise rapidement, des solutions existent. Il faudra sans doute s’armer de patience et de courage mais rien n’est impossible !
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Une idée ci-dessous pour aller plus loin
On pose ça là
Afin d’accélérer le processus, certains, comme Simon Goudiard, Directeur de l’OFS (Organisme de Foncier Solidaire) des Yvelines, réfléchissent à de nouveaux modèles : celui d’un “bail réel environnemental" par exemple, où une institution (publique ou privée) serait propriétaire des investissements sur le temps long (procédés de construction bas carbone, des travaux de réhabilitation ou des équipements collectifs trop onéreux ou dont le retour sur investissement est trop éloigné pour qu’ils soient portés par les ménages) tandis que le ménage serait propriétaire du reste. Une idée pour que les ménages ne portent pas seuls les investissements nécessaires à plusieurs générations d’habitants. Sa mise en œuvre est un vrai défi mais l’idée est intéressante.